Date: 08 mars 2017
Source: Le Soleil
Face à la recrudescence des conflits fonciers en Afrique, plusieurs acteurs (chercheurs, membres d’Ong…) qui se sont retrouvés à Dakar, en février, à l’occasion de la conférence internationale sur l’état des droits et ressources 2016-2017, se sont prononcés en faveur d’une approche inclusive et participative dans la gestion des conflits fonciers. Aussi, ont-ils défendu la nécessité de relever le défi de la reconnaissance et de la garantie des droits fonciers coutumiers pour une bonne gouvernance foncière.
A l’initiative de la Commission nationale de la réforme foncière du Sénégal (Cnrf), de l’initiative des droits et des ressources (Rri), de l’initiative prospective agricole et rurale (Ipar) et du conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr), les échanges de cette rencontre internationale ont tourné autour du thème principal «passer des risques et des conflits à la paix et à la prospérité en Afrique ». L’exemple de réformes foncières entreprises au Sénégal, comme dans bien des pays ouest-africains, a servi de cas d’école à cette occasion. Ainsi pour le Pr Moustapha Sourang, président de la Commission nationale de la réforme foncière, les pays africains ont globalement les mêmes problèmes. « Pour réformer la terre, il faut une approche particulière. La terre est un bien économique, mais c’est également un bien spirituel et culturel. Il faut une démarche. C’est pourquoi le Sénégal a privilégié une démarche inclusive et participative qui nous a permis de partager, de discuter et d’arriver à une première étape. C’est une question extrêmement importante pour toutes les réformes que nous entreprenons: l’agriculture, les mines…», a-t-il explicité. Dans ce sens, il a indiqué: « C’est une question très importante qui conditionne beaucoup, par exemple, le Plan Sénégal émergent qui est basé sur l’agriculture et sur l’occupation saine et équilibrée des terres. Il s’y ajoute aussi qu’il y a des réformes récentes de la constitution du Sénégal sur les ressources naturelles qui montrent que cette question est d’actualité », a défendu le Pr Sourang. Se prononçant sur la commission nationale de la réforme foncière au Sénégal, il a indiqué que le but de la manœuvre, c’est de pacifier l’espace. «Les conflits fonciers constituent, au Sénégal, un problème très important. 60% des contentieux devant les juridictions du Sénégal ont plus ou moins un rapport avec la terre. C’est donc une question importante», a-t-il éclairé. Ainsi face à cet héritage colonial qu’est le droit sénégalais en matière foncière, «la réforme foncière a visé l’ensemble des acteurs du système social, dans le monde rural mais également dans les villes (zones urbaines). La loi vise donc les agriculteurs, les pasteurs et les sylviculteurs, en ciblant des groupes vulnérables : les femmes et les jeunes également», a rapporté le Pr. Moustapha Sourang.
Processus inclusif et droits coutumiers
Tout au plus et d’après Alioune Guèye, président de fédération des périmètres autogérés et membre du conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr), «nos gouvernants doivent être plus regardants dans la gestion des terres, être plus à l’écoute des communautés. Il faut une vigilance en questions foncières. Sinon on se dirige vers un problème de souveraineté nationale si une bonne partie des terres arrivait à être affectée à des privés ». Dans cette démarche, le directeur exécutif du centre pour l’environnement et le développement au Cameroun, Samuel Nguiffo, indique qu’on n’arrivera pas à une solution durable en ne sécurisant que les droits des investisseurs, au détriment des droits des communautés. «Il faut donc s’assurer qu’on ne prive pas de terre à ceux qui ne dépendent que de la terre pour assurer leur survie quotidienne. La sécurisation des droits de tout le monde est la seule garantie de la paix sociale. Nous devons absolument changer de perspectives. Il faut une réforme inclusive, qui tienne compte des droits de tous les acteurs et qui les protègent également. Reconnaître les droits des communautés n’est pas une option pour un pays qui s’engage sur la réforme et qui veut travailler à long terme. C’est une question de droit, d’engagement», a-t-il insisté.
Mieux, et de l’avis du Dr. Cheikh Omar Bâ, directeur exécutif, Initiative prospective agricole et rurale (Ipar), « il faut la prise en compte du droit coutumier. Le lien entre le foncier et la paix n’est plus à démontré. Que la gestion de la terre ne soit pas source de conflit mais de stabilité et de progrès. Il faudra agir sur les enjeux cultuels, culturels et retourner vers les communautés de base». Ainsi compte tenu de cet enjeu, le Sénégal a, lui, adopté une méthodologie inclusive dans la réforme foncière en vue de la mise en place d’un document de politique foncière. «Parce qu’une loi sur la terre ne doit pas se faire de façon centralisée et parachutée. Nous avons estimé, comme il y a une longue tradition de participation des acteurs dans tout ce qui se fait, qu’il fallait y aller de façon inclusive et participative. La réforme a été menée, avec à la clé près de 118 réunions. Les 45 départements ont été visités, les 14 régions du Sénégal ont été visitées.
Tous les groupes d’acteurs impliqués ont été également contactés», a aussi témoigné le président de la Commission nationale de la réforme foncière du Sénégal. Ainsi, les grandes lignes de ce document de politique foncière ont reposé sur le mécanisme de droit qui permettent de créer des droits réels sur une terre qui appartient à la nation. Dans ce sens, l’optique, selon lui, c’est en quelque sorte rendre les Sénégalais propriétaires du Sénégal, intégralement avec le respect des droits coutumiers parce que la réforme s’est inspirée de la Constitution du Sénégal qui reconnaît les droits sur les ressources naturelles. «L’objectif de la réforme c’est de sécuriser les droits coutumiers, les droits traditionnels.
Formaliser
Mais comment formaliser ces droits dans la législation, nous allons encore repartir et discuter avec les gens comme nous l’avons fait dans la phase où nous avons mutualisé, pendant deux ans, avec l’ensemble des acteurs », a-t-il fait savoir. Il a dit, à ce sujet, qu’il ne faut pas aliéner la terre et qu’il faut la donner pour 5 ans, 10 ans ou 15 ans, en l’accompagnant d’un cahier de charges de mise en valeur et contrôlables avec des choses nettes surtout avec les grandes entreprises, pour qu’en cas de violation de ces règles, qu’on puisse les revendiquer, les récupérer. Significativement, face à ce défi inclusif et eu égard à la garantie des droits coutumiers, «nos États se sont engagés; le droit international nous y contraint. Avec notre volonté, nous nous sommes engagés, nous devons le faire. C’est une obligation pour nous. Près de la moitié des conflits sur le continent est directement liée à la gestion de la terre ou des ressources naturelles. Il faut un moratoire à l’attribution de grandes concessions jusqu’à ce qu’un mécanisme soit en place pour permettre d’identifier et de protéger les droits des populations», a aussi défendu M. Samuel Nguiffo.
Nouveaux instruments de gestion foncière
Dans la mise en œuvre de la réforme, «il faut une nouvelle politique, de nouveaux instruments de gestion foncière pour promouvoir la paix et la prospérité. Les États africains initiateurs de réformes foncières doivent se fonder sur les questions de sécurité et d’inclusion. Les droits humains et le développement économique ne sont pas des contrastes à la gestion foncière.
Plus de la moitié des terres du monde font l’objet de possession coutumière et en Afrique, c’est plus de 80% des terres qui font l’objet de possession coutumière. D’où l’urgence de sécuriser les droits fonciers coutumiers », a préconisé, de son côté, Dr. Andy White, président de l’initiative des droits et ressources (RRI). D’autant plus que pour les réformes foncières entreprises, le constat est que malgré les lois foncières entreprises sur le continent, les États, de manière générale, ne sont pas encore en mesure d’assurer leurs engagements internationaux.
Encore moins que les lois foncières et les pratiques soient de nature à reconnaître les droits coutumiers, autrement que par l’immatriculation. «On s’est rendu compte enfin que la loi foncière n’est pas de nature à assurer la paix sociale dans un contexte où la raréfaction de la terre est extrêmement forte et devient de plus en plus grande. Les conflits sont nombreux, parfois violents et opposent les communautés aux élites, les communautés aux multinationales. C’est un constat dans tous les pays qui ont été étudiés», l’a souligné le directeur exécutif du Centre pour l’environnement et le développement au Cameroun. Pour le cas du Sénégal, le processus de participation pour la mise en place du document de politique foncière qui constitue la première phase, est terminé. «La deuxième phase est éminemment politique. Il s’agit de voir comment remplacer l’ancienne loi, quels sont les types de droits, comment introduire les outils de gestion modernes. Puisqu’il faut que dans le monde rural qu’on puisse avoir des éléments de topographie modernes, les plans d’occupation des sols, les systèmes d’occupations foncières pour qu’à l’image des villes, les zones rurales aient des outils d’ajustement extrêmement modernes », a averti le Pr. Sourang.
En outre, «nous avons estimé qu’à moins terme, c’est de trouver quelque chose qui soit entre le titre foncier et la simple affectation qui existait en 1964. Nous avons trouvé que le système de bail emphytéotique, de bail ou de sous bail permettrait d’avoir un mécanisme particulier qui permette aux paysans, pasteurs et également à tous les acteurs d’avoir des droits réels mais qui sont limités dans le temps», a-t-il renchéri.
«Le bail emphytéotique a donc été retenu pour le Sénégal. L’idée est comment faire en sorte que, comme ce sont des droits réels, qu’on sorte de l’informel. Dans beaucoup de systèmes traditionnels, les droits ne sont bornés que par des repères artificiels qui disparaissent. Nous avons donc préconisé le cadastrage universel des territoires puisque des territoires réels se bornent», a relevé le Pr. Sourang.
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