Date: 18 juillet 2017
Source: Benin Web TV
Par: Ignace Sossou
Au Bénin l’accès de la femme au foncier continue d’être un sujet tabou en raison des pesanteurs sociologiques consacrées par le droit coutumier. Dans le département du Zou, le phénomène s’observe avec acuité malgré la nouvelle législation du pays qui offre à la femme des garanties d’accès à la terre et à la propriété foncière.
A Tangandji, village situé à environ 22 km du centre-ville d’Abomey (commune du département du Zou-Bénin), nous sommes allés à la rencontre de dame Antoinette, seule héritière des terres de son feu père mais menacée d’expropriation sous le seul prétexte que la femme n’a pas droit à l’héritage foncier.
Seul enfant de ses parents après la mort de ses quatre frères, Antoinette Gbaglo a hérité à la mort de son géniteur d’un domaine d’environ 10 hectares. Mais c’est sans compter avec ses cousins (les enfants du petit frère de son père défunt) pour qui la femme n’a pas droit à l’héritage.
Ils ont dit que la femme n’a pas droit à l’héritage … Quand ils ont fait le partage de l’héritage au décès de mon père, j’ai reçu ma part. Mais mes cousins veulent me l’arracher. Ils ont pris une bonne partie et la seule partie qui me reste, ils sont encore déterminés pour me l’arracher et ça fait actuellement objet de polémique entre nous, raconte Antoinette Gbaglo
Mère de 10 enfants, Antoinette Gbaglo gère une exploitation agricole établie sur un domaine d’environ 4 hectares. Elle y produit du maïs, du manioc, du soja, de l’arachide, bref, les produits vivriers pour nourrir sa famille et subvenir à ses besoins et celui de ses enfants.
« Ils m’ont déjà pris environ 5 hectares de terre. S’ils m’arrachent le domaine sur lequel je suis actuellement, il ne me restera plus aucune terre. Si le Chef village leur avait signé les conventions de vente, ils m’auraient déjà exproprié parce qu’ils ont déjà vendu le domaine et n’attende que de conclure la vente malgré que la collectivité s’est opposée à cette vente », explique-t-elle.
Le Chef collectivité à la rescousse de Antoinette …
« Ils se sont disputés avec le chef collectivité quand ils m’ont arraché une partie de mes terres », raconte Antoinette Gbaglo. Selon son récit, le chef collectivité a pris sa défense contre ses cousins et s’est farouchement opposé à eux au point de les faire enfermer pour avoir vendu illégalement l’héritage de dame Antoinette.
« Les sages de la famille ont demandé au chef collectivité de lâcher l’affaire puisque s’ils vont en prisons, ça pourrait créer des divisions dans la famille. Mais après cet épisode, ils sont revenus à la charge et ont vendu à nouveau le seul domaine qui me reste » a-t-elle fait savoir.
Pour Elie, sage du village Tangandji, la réalité à laquelle Antoinette est confronté ne date d’hier. Selon lui, le père de Antoinette était encore vivant quand son oncle, le petit frère de son père, a vendu une partie du domaine de son père sans l’accord du Chef de collectivité.
« Quand ce dernier été informé, ça a créé des disputes dans la famille. L’oncle étant plus âgé que le Chef collectivité, l’affaire a été classée pour éviter des problèmes de famille. A la mort de l’oncle, ces enfants ont pris le relais en s’attaquant au domaine hérité par Antoinette mais le Chef collectivité s’y est vigoureusement opposé » raconte-t-il.
A en croire le sage Elie, le chef collectivité a pris la défense de Antoinette et a exigé que les terres vendues lui soient restituées. « Le chef collectivité a insisté que le domaine vendu soit rétrocédé à Antoinette mais ils ne veulent pas entendre raison » précise-t-il.
Les clarifications du Préfet du département du Zou, Firmin Kouton
Dans le droit coutumier, la femme n’avait pas droit à l’héritage. C’est ce qui écarte les femmes de l’héritage foncier dans nos localités ici. Dans les communes de Djidja, Zogbodomè, Za-kpota où il y a des familles qui disposent de grands domaines, les femmes n’avaient pas droit à la terre parce que dans la conception de ces coutumes, la femme est appelée à aller dans une autre famille. De ce fait, elle ne peut pas hériter d’un bien appartenant à sa famille d’origine.
Compte tenu du risque d’insécurité foncière que comporte cette coutume, les députés en 2013 ont voté la loi sur le code foncier pour harmoniser le droit foncier. Dans les milieux urbains, il n’y a pas de problème ! Quelqu’un qui dispose de son titre de propriété réel, à son décès, même s’il n’a que des enfants femmes, ce sont elles qui en bénéficieront. Dans ce cas personne n’a le droit de dire que parce que ses enfants sont des femmes, ils n’ont pas droit à l’héritage. En revanche dans les milieux ruraux ça se dit.
Dans les milieux ruraux, la femme a seulement le droit d’exploiter la terre mais n’a pas le droit de propriété. Mais aujourd’hui si vous allez devant les tribunaux, s’il est admis que le domaine appartient au père de quelqu’un, même si c’est une femme, le tribunal lui donne toujours droit.
La succession, véritable barrière à l’accès de la femme au foncier dans le Zou
Selon le Juge Antoine Houézé du Tribunal de Première Instance d’Abomey, c’est le mode de succession qui pose problème en ce qui concerne l’accès des femmes au foncier dans le département du Zou. Et pourtant, le code des personnes et de la famille en vigueur au Bénin depuis 2002 dispose en son article 619 que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leur père et mère ou autres ascendants sans de sexe ni d’âge. (…) Il succède par égale portion et par tête ».
Toujours selon le Juge Houézé, dans la tradition du Zou, l’homme ne conçoit pas que son épouse achète un domaine sans au préalable l’en informer, il perçoit ça comme un manque de respect.
« On a vu dans certains dossiers où la femme avant d’acquérir un bien immeuble en informe son époux et c’est l’époux qui l’accompagne le jour de la conclusion de la convention de vente pour être témoin ou carrément c’est l’époux qui signe la convention de vente comme acquéreur et c’est lorsqu’il y a contestation que, arrivé devant le juge, cela se révèle au cours des débats » raconte-t-il.
La difficulté de l’accès des femmes au foncier, Pour le Juge Houézé, n’est donc un problème de textes de loi mais plutôt un problème de société qui trouvera certainement sa solution dans l’éducation notamment des filles à connaitre leur droit et la sensibilisation des chefs traditionnels.
« La solution à tout problème de société passe souvent par l’éducation. Il faut envoyer beaucoup de filles à l’école et il faut aussi sensibiliser les chefs traditionnels parce que dans le Zou il y a cette spécificité que dans chaque famille, il y a les chefs collectivités communément appelé « Dah » qui sont les administrateurs des biens de la collectivité », préconise le Juge Houézé.
Le Projet Ewoh 2 pour l’accès de la femme à la terre et à la propriété foncière
Le Projet « Un seul monde sans faim 2 » (Ewoh 2) initié par le ministère fédéral allemand de la coopération économique et du développement et mise en oeuvre au Bénin depuis début 2016 dans les département de l’Atlantique et du Zou, a pour objectif:
- d’informer les femmes sur le contexte juridique traditionnel et codifié et les moyens de recours en cas de violations de leurs droits d’accéder à la propriété foncière ;
- d’amener les élus locaux, des agents de l’administration, les autorités traditionnelles à prendre en compte les droits des femmes dans l’attribution des, l’exploitation des terres et dans le cas d’expropriation, procéder à des réparations ;
- d’amener les des décideurs politiques à prendre en compte les intérêts et les besoins des femmes dans les réformes de la loi foncière et tout le contexte juridique associé ;
- d’amener les décideurs politiques à faire appliquer les textes pour la jouissance effectives des droits que les textes confèrent à la femme et enfin d’amener les femmes à connaitre les dispositions qui leur sont favorables dans les textes afin de s’organiser pour en jouir.
Mesures / Manifestations en 2016
Pour l’atteinte des objectifs du projet, plusieurs activités ont été menées au cours de l’année 2016 au nombre desquelles nous avons : l’élaboration de trois baseline – studies (documentation des problèmes dans les zones concernées incluant les facteurs qui empêchent la réalisation des réformes étatiques) ; l’installation de l’infrastructures du projet ; le réseautage avec les organisations locales et internationales qui s’occupent des droits de terres (Mapping des initiatives existantes – synergie !) ; le capacity builduing (connaissance des droits et son application), l’élaboration de manuels pour les formations et enfin la formation des médiateurs ambulants en matière d’assistance juridique et parasurveyors.
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