Date: 18 décembre 2016
Source: El Watan
Par Ali Titouche
La nouvelle Constitution adoptée en mars dernier a introduit une disposition visant la protection des terres agricoles. Quelle est votre première impression ?
L’article 19 de la nouvelle Constitution porte sur l’ensemble des ressources naturelles qu’il faudra utiliser rationnellement et préserver. Cependant, cette disposition insiste sur la protection des ressources naturelles les plus fragiles que sont la terre et l’eau et renvoie à une loi particulière pour sa mise en œuvre. Le fait de constitutionnaliser la protection des terres agricoles — et l’empreinte du Président de la République n’est pas à écarter dans cette initiative — est un acte politique éminemment important et un acquis historique indéniable ; c’est une reconnaissance claire de l’importance de cette ressource rare et non renouvelable et de l’urgence de sa protection pour qu’elle serve aux générations futures.
C’est la sonnette d’alarme. En effet, l’importante superficie ayant perdu sa vocation agricole ainsi que la faiblesse de la superficie agricole utile du pays et la fragilité de la base de la sécurité alimentaire au regard de la tendance à la hausse des importations de produits alimentaires sont les indicateurs qui ont pesé certainement sur la décision du législateur de constitutionnaliser la protection des terres agricoles.
Peut-on connaître l’ampleur du phénomène ?
L’analyse du phénomène serait plus intéressante si des bilans venaient étayer les arguments avancés çà et là. Malheureusement, les quelques statistiques disponibles ne reflètent pas l’ampleur du phénomène. Ainsi, depuis 1962 et jusqu’en 2015, une superficie de 282 700 hectares a été distraite du patrimoine foncier agricole pour être destinée à la réalisation des constructions de logements et d’équipements sociaux collectifs, de routes, d’infrastructures touristiques et industrielles. Signalons que cette superficie ne concerne aucunement les constructions illicites réalisées par des particuliers ni celle occupée par les nombreux groupements d’habitat précaire. Aucune statistique n’est disponible à ce sujet.
C’est un bilan inquiétant, n’est-ce pas ?
Ces quelques données, non exhaustives évidemment, sont à la base des inquiétudes et préoccupations affichées. La principale raison est que l’Algérie n’est pas suffisamment pourvue en terres agricoles puisqu’elle ne dispose en fait que de 4% de sa superficie en terres arables, soit 8,4 millions d’hectares. Selon le Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT), la SAU a fortement baissée, passant de 1 ha/habitant en 1960 à 0,24 ha/h en 2008. Elle est certainement encore en baisse en 2016 avec une population estimée à 40 millions d’habitants. Ce ratio est beaucoup plus faible si l’on considère que 3,3 millions d’hectares, soit 40% de la SAU, sont laissés en jachère chaque année, encore plus faible également si nous disposions des statistiques concernant les terres non exploitées. Ne sont pas non plus comptabilisées les moins-values occasionnées pour les exploitations agricoles en raison des démembrements et divers morcellements enregistrés après la réalisation de différents projets.
La législation en vigueur, censée protéger les terres agricoles, est-elle insuffisante ?
Non pas du tout, puisque face à cette consommation effrénée de terres de bonne qualité, l’Etat a mis en place depuis longtemps un arsenal juridique des plus contraignants, constitué essentiellement de trois lois. Il s’agit de la loi 90-25 du 18 novembre 1990 portant orientation foncière qui a mis en place, à travers son article 36, une procédure draconienne de transfert des terres agricoles vers la catégorie de terre urbanisable, de la loi 90-29 du 1er décembre 1990 relative à l’aménagement et l’urbanisme, promulguée moins de 15 jours après la loi d’orientation foncière ainsi que de la loi d’orientation agricole de 2008 qui a consacré l’interdiction de l’utilisation des terres agricoles à d’autres fins qu’agricoles.
Peut-on alors parler de non-application de la loi ?
Malheureusement, tout cet arsenal juridique n’a pas eu les effets escomptés. Parmi les raisons ayant conduit à cette situation, il y a lieu de relever, en premier lieu, que les instruments techniques prévus pour le classement des terres agricoles par les lois sus évoquées n’existent pas encore. Une initiative de l’Institut national des sols, de l’irrigation et du drainage (INSID) engagée depuis près de 20 ans n’a pas encore abouti et le projet de décret d’application de la loi d’orientation agricole n’a pas abouti également. En l’absence de ces instruments, peut-on réellement appliquer les dispositions législatives en question ? Cette carence ouvre effectivement la première brèche autorisant l’intégration de terres de toute nature dans les secteurs d’urbanisation.
En second lieu, en principe, la consommation des terres, quels que soient leur nature et leur statut juridique, est prise en charge par les instruments d’urbanisme. Cependant, il faut reconnaître que ces instruments d’urbanisme sont élaborés en l’absence de vision claire de protection des terres agricoles et leur courte durée de vie incite les décideurs à anticiper sur des choix de terrain facilement constructibles, sans tenir compte de l’harmonie de la ville ni des potentialités des terres, pourvu que les programmes de construction se réalisent, entraînant ainsi soit la disparition définitive de l’exploitation agricole ,soit la perte de sa viabilité, soit enfin son démembrement.
En troisième lieu, le dispositif institué par les différentes instructions du Premier ministre, en 2005, dérogatoire aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, a engendré des dérives dans la consommation des terres puisqu’il autorise l’occupation de terres situées en dehors des secteurs d’urbanisation. Même si ce dispositif apparaît, dans son contenu, favorable à la préservation des terres agricoles, il n’en demeure pas moins que, souvent, la nécessité de réaliser les programmes d’équipements sociaux collectifs l’emporte sur le principe de préserver les terres agricoles.
En quatrième lieu, la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique instituée par la loi 91-11 du 27 avril 1991 a été modifiée à deux reprises par les lois de finances de 2005 et 2008 pour faciliter la réalisation d’infrastructures d’intérêt général et d’envergure nationale et stratégique. Depuis la mise en œuvre de ces dispositions, on assiste à une prolifération d’opérations de déclaration d’utilité publique par décret, favorisée par l’absence d’appréciation de l’utilité publique puisque la loi n’ayant donné ni définition de ces ouvrages ni énumération, l’administration ayant un large pouvoir discrétionnaire.
De nombreuses infrastructures ont ainsi été implantées, par décret, sur des terres agricoles souvent de très bonnes potentialités. C’est le cas des villes nouvelles de Sidi Abdallah (2600 ha) et Bouinan (1000 ha) qui sont implantées sur des terres agricoles alors que, paradoxalement, la loi n°02-08 du 8 mai 2002 relative aux conditions de création des villes nouvelles a exclu l’implantation des villes nouvelles en tout ou partie sur des terres agricoles. C’est le cas également du parc des Grands Vents, dans la wilaya d’Alger, qui occupe une superficie de 1059 hectares de terres agricoles périurbaines.
En cinquième lieu, la localisation des Zones d’expansion touristique (ZET) sur des terres agricoles et les lenteurs enregistrées dans leur réalisation a conduit à des opérations de spéculation et de détournement des terres de leur vocation. 47 000 hectares de terres sont immobilisés depuis 1988 et 6000 ha depuis 2010, privant ainsi les propriétaires et les titulaires de droits réels d’exploiter correctement les terres, encore moins d’y réaliser des investissements.
Mais alors, qui sont les responsables de cette situation ?
Dans tous les dispositifs en vigueur, il faut reconnaître que les responsabilités sont diluées entre les collectivités territoriales, les exécutifs de la commune, de la daïra et de la wilaya, les différents départements ministériels utilisateurs et gestionnaires des terres. D’un autre côté, sont également responsables les titulaires de droit réels des terres du domaine privé de l’Etat que sont les concessionnaires, ainsi que les propriétaires privés de terres agricoles notamment périurbaines. En outre, le manque de formation, les faiblesses dans la maîtrise des procédures et, d’une façon générale, des textes législatifs et réglementaires ne sont pas également à écarter pour comprendre ces situations.
Que faut-il faire pour sauver ce qui reste ?
Il faut axer tous les efforts sur cette nouvelle loi, comme déjà souligné ; le législateur saura sans doute être cohérent avec le principe de protection des terres agricoles qu’il a introduit dans la nouvelle Constitution en ce sens qu’il ne doit pas céder aux pressions d’où qu’elles émanent, notamment celles qui font leurrer les options d’industrialisation et d’agriculture saharienne autre qu’oasienne comme alternatives à garantir la sécurité alimentaire du pays.
Il doit impérativement tenir compte non seulement de la faible superficie agricole utile du pays, qui tend à se réduire face à l’évolution démographique, mais également du caractère aride ou semi-aride de la majeure partie du territoire, obstacle sérieux aux volontés de gagner de nouvelles terres notamment dans le Sud, à des coûts de revient à l’hectare exorbitants et aléatoires et sur les terres de parcours aux dépens de l’alimentation du cheptel ovin.
Outre cet esprit qui doit soutenir la nouvelle loi, son contenu devra regrouper l’ensemble des dispositions législatives en vigueur en la matière, éparpillées dans les nombreux textes en vigueur, pour les réunir et les actualiser pour permettre ainsi une meilleure compréhension et application.
Ce travail, qui s’apparente à une codification, devra être mené par une commission ad hoc pilotée soit par l’Assemblée populaire nationale et le secrétariat général du gouvernement, et composée d’experts rompus aux questions des ressources naturelles, notamment des universitaires présentant des profils appropriés, des magistrats spécialisés, des élus locaux et des fonctionnaires des secteurs concernés. Cette commission devra travailler en «conclave» le temps qu’il faudra.
En ce qui concerne les terres agricoles et sans verser dans l’excès en interdisant leur utilisation à des fins autres qu’agricoles, comme contenues dans les lois précédentes, il est possible de trouver un consensus favorable à l’institution d’un régime de protection applicable sur le terrain et éviter ainsi toute disposition contraignante à l’occupation des terres pour servir l’investissement économique et social.
La nouvelle loi devra d’abord privilégier les instruments d’urbanisme, revus et allégés, pour permettre leur élaboration dans un cadre démocratique, consensuel et dans la transparence.
Il y a lieu également de s’interesser davantage à l’achèvement de l’opération de classement des terres engagée par l’Institut national des sols de l’irrigation et du drainage, qui permettra, à moyen terme, de mieux connaître les potentialités des terres agricoles du pays.
En attendant la finalisation de cet important instrument, il est nécessaire d’instituer dans l’intervalle, au niveau de chaque commune, un zonage délimitant «à dire d’expert» les terres agricoles les plus fertiles notamment irriguées ou irrigables qu’il faudra considérer comme inconstructibles et les terres agricoles de très faibles potentialités pouvant être intégrée aux secteurs d’urbanisation. La loi devra clarifier, dans ce cadre, la procédure de déclassement des terres agricoles vers les terres urbanisables. En outre, une importance particulière devra être donnée à la rénovation du vieux bâti, à la restructuration et à la densification urbaines.
Les importants enjeux appellent enfin à élever le niveau de responsabilité en instituant une commission nationale composée des élus de l’Assemblée nationale, des élus locaux, des associations représentatives de la société civile et les administrations centrales concernées pour veiller à l’application de la loi.
Le mot de la fin...
Il est urgent que les pouvoirs publics ordonnent l’élaboration de la nouvelle loi, neuf mois après la promulgation de la loi n° 16-01 du 6 mars 2016 portant révision constitutionnelle. Au regard des nombreux enjeux que renferme le patrimoine foncier agricole, pour garantir la sécurité alimentaire du pays, nous sommes persuadés que cette nouvelle loi serait une opportunité historique qu’il faudra saisir. Ce sont les générations futures qui nous interpellent.
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