Adama Soro, vice-président chargé des relations du Groupe Endeavour pour le Burkina Faso, est le nouveau président de la Chambre des mines du Burkina (CMB) depuis le 25 juin 2021. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, il décline ses ambitions pour le secteur minier burkinabè sous son mandat. Sans langue de bois ni faux-fuyant, il met le doigt sur les problèmes qui minent le secteur, propose des solutions pour réconcilier les burkinabè avec leur secteur minier.
Sidwya (S) : En juin dernier, vous avez été élu à l’unanimité président de la Chambre des mines du Burkina pour un mandat de deux ans et officiellement installé dans vos fonctions le 8 juillet 2021. Quel sentiment vous anime après cette élection ?
Adama Soro (A. S) : Ce sont d’abord des sentiments des reconnaissance à l’endroit de mes pairs qui ont bien voulu placer leur confiance en ma modeste personne pour présider à la destinée de la Chambre des Mines du Burkina (CMB) pour les deux prochaines années. Ensuite, c’est un devoir pour moi et mon équipe de travailler à faire du secteur minier un catalyseur de développement, une opportunité de développement socioéconomique pour le Burkina Faso.
S : Vous connaissez bien ce secteur minier burkinabè au regard de votre parcours professionnel. Quel regard portez-vous sur ce secteur ?
A.S. : Je vais étayer mon propos avec deux éléments : l’histoire et les chiffres, cela me parait important ! Dans l’histoire, depuis la période coloniale, il avait été laissé croire que le Burkina Faso n’avait pas de potentiel minier. Dans les années 70, de nombreuses levées géologiques, géophysiques financées essentiellement par le PNUD, la Banque mondiale et le Canada ont permis de mettre en exergue le potentiel minier du pays, sous le leadership de nos devanciers dans le secteur.
Je profite d’ailleurs pour rendre hommage à un des doyens qui n’est plus de ce monde, Emile Gansoré. Il a été l’un des pères de la découverte de plusieurs gisements qui sont exploités aujourd’hui. Pr Gansoré a contribué grandement à la mise en place de la Direction des Mines qui est devenue aujourd’hui le Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina (BUMIGEB). Il a fallu à un moment donné, au niveau national, une volonté de doter notre pays de cet instrument qui a permis de faire la promotion du secteur minier. Il y a eu également des bailleurs de fonds qui ont cru et qui ont accepté de financer les projets de recherche minière.
Puis, sont arrivés des privés internationaux, australiens et canadiens pour la plupart qui se sont lancés dans l’exploration. Sous la révolution, il y a eu une troisième phase avec l’entrée en production de la mine de Poura, grâce à la clairvoyance des dirigeants d’alors. Les efforts de promotion du secteur ont abouti à la création d’un ministère plein de l’énergie et des mines en 1995, l’adoption de la déclaration de Politique Minière en 1996, l’adoption du code minier de 1997, puis celui de 2003. Dans les années 1998, l’environnement mondial était marqué par la faiblesse du cours de l’or. De nombreux projets n’ont pas pu voir le jour à l’époque. Il n’y avait donc que la mine de Poura et la CEMOB qui était une mine semi-mécanisée. Ces projets ont ainsi eu pour avantage de permettre à notre pays de disposer de cadres bien formés, de très bons géologues dans le domaine de l’exploration et des techniciens en matière d’exploitation et de métallurgie .
A partir des années 2000, l’environnement international a changé (le cours de l’or a augmenté). Nos dirigeants ont eu la vision de mettre en place un code minier attractif, celui de 2003. Malgré les critiques que l’on peut faire à l’égard de ce code, il faut avoir le courage de reconnaitre qu’il a permis d’attirer beaucoup d’investisseurs, notamment australiens, canadiens, britanniques et sud-africains qui ont mis en valeur les gisements. Tout ceci a permis à notre pays d’avoir ces premières mines à partir de 2007. En 12 mois, 4 mines sont entrées en production ; il s’agit de la mine Taparko en octobre 2007, celle de Youga en mars 2008, celle de Mana en juin 2008, et celle de Kalsaka en octobre 2008. Il était important de faire ce rappel historique pour montrer qu’en dépit d’un tableau initial pessimiste, des chercheurs, des géologues burkinabè, la société civile et surtout des investisseurs privés étrangers, ont eu foi en notre pays et ont œuvré à mettre en valeur son potentiel minier avec l’accompagnement des politiques qui ont pris des lois pour faire la promotion de ce secteur.
Grâce à ces efforts, conjugués le Burkina Faso a fait un bond prodigieux, un record quasiment inégalé, avec un ratio de 1,2 mine par an, de 2009 à aujourd’hui. Aucun pays au monde, y compris les grands pays miniers comme le Canada, l’Australie, n’ont connu de telles performances. De 2009 à 2021, le Burkina Faso a eu13 mines en opération.
Maintenant les chiffres : Le secteur minier avait en 2009 une contribution de moins de 1% à la formation du u Produit Intérieur Brut pour atteindre 12,7% du PIB en 2020. En 2008, la production minière industrielle annuelle était d’environ 5 tonnes d’or, en 2020 nous avons enregistré 62 tonnes d’or produites. Cela est prodigieux pour notre pays qui a fait du chemin et qui est sur la bonne direction. En si peu de temps, le Burkina Faso s’est hissé au top 5 des pays miniers du continent africain aux côtés de pays de tradition minière comme le Mali, le Ghana, l’Afrique du Sud. Mais on ne le dit pas assez ! Le secteur minier a surplanté le coton en 2009 et représente plus de 2/3 des recettes d’exportations.
Pour terminer mon regard sur le secteur minier burkinabè, j’évoquerai le code minier de 2015, qui est venu aussi renforcer la redistribution et la contribution du secteur minier à l’économie nationale, ce qui est un point positif à souligner.
S : Sous quel signe placez-vous votre mandat à la tête de la CMB ?
A. S : Je place mon mandat sous le signe de l’action, à travers trois verbes d’action : redynamiser, repositionner, renforcer. Mais de l’action dans l’intérêt de toutes les parties prenantes. Certes, en tant que Chambre des mines, nous avons pour mission de défendre les intérêts de nos membres. Mais ces intérêts ne sont pas opposés aux intérêts nationaux, loin s’en faut. Lorsqu’on met en place un investissement minier, on crée des emplois, paye des royalties, des taxes et impôts. Des externalités économiques sont aussi générées. Avec mon équipe, notre action à la tête de la CMB est donc de défendre les intérêts de nos membres, dans l’intérêt bien compris de notre nation.
S : Concrètement, quels sont vos priorités, vos axes majeurs d’intervention au cours des deux prochaines années ?
A. S. : Le premier axe consiste à redynamiser la Chambre des mines pour diverses raisons. Malgré les efforts déjà consentis, nous pensons qu’il y a encore de la marge pour que les membres puissent se mobiliser davantage autour de la Chambre des mines pour qu’elle soit au-devant des grandes questions de développement, comme celle de la création d’emplois. Certes, le secteur minier ne crée pas autant d’emplois que le secteur de l’agriculture mais les emplois miniers sont très bien rémunérés.
Il faut donc redynamiser et mobiliser nos membres afin que la Chambre soit une force de proposition sur l’échiquier national. Mais aussi de faire en sorte que nos partenaires que sont l’Etat et les communautés sachent que la Chambre des mines ne travaille pas contre leurs intérêts. Cela passe par notre adaptation à la nouvelle donne sécuritaire et sanitaire qui nous oblige à nous réinventer, à imaginer de nouvelles façons de faire au niveau de la CMB. Il faut réorganiser l’institution pour qu’elle soit beaucoup plus agile, de sorte que les membres s’y retrouvent davantage.
Notre deuxième axe vise à repositionner la Chambre des mines comme un acteur majeur du développement socioéconomique de notre pays !
En tant que faîtière d’un secteur qui contribue à près de 13% au PIB nous allons travailler à ce que notre voix porte davantage dans les instances de prise de décisions. Que ce soit au niveau du patronat, de la Chambre de commerce ou des autres instances, la Chambre des mines doit être considérée comme un acteur majeur à part entière.
La CMB doit jouer les premiers rôles sur certaines questions comme le Contenu local. Ce sont les mines qui lancent les commandes, expriment leurs besoins de consommation ; elles sont les donneurs d’ordre. Les discussions sur le sujet devraient dont les impliquer au premier plan.
Passons aux emplois locaux. Je suis déjà heureux de savoir que dans la plupart des mines plus de 90% des employés sont des Burkinabè. Cependant, nous sommes aussi conscients de la nécessité d’œuvrer à ce qu’il y ait des plans de relève pour les travailleurs Burkinabè et ce en collaboration bien entendu avec le gouvernement et les partenaires sociaux.
Enfin, au niveau de cet axe, il y a le dialogue avec Organisations de la Société Civile. Comme je l’ai dit dans mon discours de passation en citant Dr Elie Justin Ouédraogo, ancien président de la CMB, le nom du secteur minier est « gâté dès la naissance comme celui de la hyène ». Quoi qu’on fasse on dira que ce sont de grands capitalistes. Je pense qu’ensemble on peut travailler à faire changer cette perception.
Renforcer la collaboration et le partenariat avec le gouvernement va constituer mon dernier axe. À ce propos, un livre blanc sera transmis au gouvernement par l’entremise de notre ministère de tutelle. Une fois de plus, j’insiste pour dire que nos intérêts ne sont pas contradictoires. Aucune mine ne peut s’installer dans un pays sans une autorisation.
L’exploitation minière commence et finit par une autorisation gouvernementale. Étant donné que c’est le gouvernement qui nous autorise, nous supervise, nous contrôle, et au cas échéant nous sanctionne, il doit être totalement à l’aise de nous défendre quand vient le moment de le faire. Je profite pour remercier les ministères en charges des mines, des finances, de l’environnement, de la défense, de la sécurité, du transport et les autres départements pour ce qu’ils font.
En effet, il est important que l’on redéfinisse le paradigme de la collaboration, dans une approche gagnant-gagnant. Le secteur minier ne doit pas être abandonné à lui-même lorsqu’il a des problèmes. Il faudrait que pour des préoccupations communes nous puissions porter ensemble avec le gouvernement le message à l’endroit de l’opinion publique. Nous avons besoin d’être compris et soutenus car nous ne pouvons rien faire sans le gouvernement. Je m’attacherai particulièrement à renforcer cette collaboration. Je salue déjà la vision du gouvernement dans ce sens.
S : Selon vous, quelles sont les principales contraintes auxquelles fait face le secteur minier burkinabè ?
A. S : Nous avons plusieurs contraintes d’ordre opérationnel mais la question de la mauvaise perception du secteur minier par l’opinion publique constitue la principale.
Elle impacte négativement nos relations certaines parties prenantes notamment les communautés locales et peut être source de beaucoup de conflits qui peuvent impacter la bonne marche de nos opérations.
Comme il y a beaucoup de capitaux qui circulent dans le secteur minier, une certaine opinion a tendance à penser à des soupçons de corruption, à une connivence entre les sociétés minières et l’Etat pour « piller » le peuple. Les journalistes doivent nous aider à corriger cette perception. Beaucoup ne savent pas toutes les mesures, les normes, les standards auxquels les compagnies minières doivent se conformer au niveau international par le simple fait qu’elles sont cotées en bourse. Ces exigences de transparence au niveau international sont souvent plus élevées que celles au niveau national.
La plupart de l’opinion publique ignore que chaque société minière, pour celles qui sont listées, fait une publication trimestrielle de ces résultats qui sont audités et publiés à la Bourse. Et tout le monde a accès à ces informations. Les sociétés minières ont une obligation de transparence, jusqu’aux revenus des plus hauts dirigeants.
J’invite l’opinion publique, les journalistes à venir à la source pour avoir les bonnes informations afin de dissiper ces malentendus. Il est important de travailler à ce que cette perception soit le reflet de la réalité.
Ensuite, il y a quelques points, d’ajustement à opérer pour que le secteur soit plus fluide et puisse contribuer davantage à l’économie nationale. J’en veux pour exemple, la question des cycles de travail. Les mines constituent un secteur à feu continu, malheureusement, notre législation n’est pas totalement adaptée à cette réalité. Il faudrait donc qu’il y ait cette flexibilité de notre loi pour prendre en compte les réalités du secteur notamment l’organisation du cycle de travail.
Il y a aussi la question de la TVA. Les sociétés minières sont à 100% exportatrices. De par la loi elles sont exonérées pour une bonne partie de la TVA. Malheureusement, elles payent cette TVA et se font rembourser, avec beaucoup de retards. Au passage, je remercie le ministre Lassané Kabore et l’ensemble des responsables du ministère des finances et des régies financières (Douane, Impôts et Tresor) qui font d’énormes efforts pour trouver des solutions à cette question.
Sans sécurité, rien n’est possible ; du fait de l’insécurité, l’exploration est réduite a travers le pays. Il faut donc saluer le secteur minier qui, dans ce contexte difficile, a fait preuve d’une certaine résilience.
Il y a enfin le problème des permis miniers, il faut donner les permis à ceux qui ont démontré leurs capacités techniques et financières à les mettre en valeur. Pendant longtemps des permis miniers ont été octroyés à des personnes qui n’ont pas les moyens et qui faisaient plus de la spéculation qu’autre chose. Il serait bon de soumettre l’octroi des permis miniers à des conditions financières et techniques, assorties de plans de recherche clairement établis. Le but ultime est de relancer l’activité de recherche car les découvertes d’aujourd’hui sont les mines de demain.
Le président de la CMB, Adama Soro : « La Chambre des mines ne travaille pas à l’encontre des intérêts de l’Etat et des communautés »
S : Et la question du coût des facteurs de production…
A.S : C’est un vrai problème aussi ! Quasiment 1/3 des coûts de production des mines est lié à l’énergie. Il serait intéressant si les compagnies minières pouvaient avoir accès à de l’énergie a des prix compétitifs que ce soit via la SONABEL ou tout autre promoteur.
Je pense que le fait qu’on ait ramené les départements des mines et l’énergie dans un même ministère, est une bonne chose qui pourrait permettre de trouver des solutions afin d’amoindrir nos coûts de production.
S : Vous l’avez si bien souligné, la question de l’image du secteur est prégnante et malgré leur contribution au développement socio-économique, les mines n’ont pas bonne presse dans l’opinion publique. Concrètement, comment faire pour réconcilier les Burkinabè avec leur secteur minier ?
A.S : Une bonne et grande question ! Heureusement, je ne pense pas qu’il ait une grosse fracture entre les deux. Le problème réside dans des perceptions qui, ne sont peut-être pas fondées mais qui peuvent s’expliquer. D’habitude, quand, on ne connait pas, on a peur et la peur nourrit toutes les suspicions et génère de la méfiance. Il y a donc un travail avec l’opinion publique, notamment les journalistes, les OSC, pour parler le langage de la vérité.
Lorsqu’il y aura des choses à nous reprocher, croyez-moi, on les analysera froidement et ensemble on trouvera les solutions. Ceux qui me connaissent savent que je n’ai pas peur de la vérité. Réconcilier le secteur avec les burkinabè est un travail collectif. Les miniers ne peuvent pas le faire tout seul. Lorsque nous disons ce que nous faisions, on trouve que nous faisons trop de bruit. Quand nous ne parlons pas, on se plaint qu’on ne voit pas ce que nous faisons. Nous sommes ouverts et disposés pour donner la bonne information. On a souvent l’impression que certains qui connaissent pourtant mieux le secteur, ont peur d’en dire du bien quand il le faut, pour ne pas apparaitre comme des « vendus », comme on le dit chez nous !
On ne doit pas regarder d’un mauvais œil un secteur qui représente près de 13% du PIB ! Un article du journal L’Economiste du Faso, avait une fois montré que les IUTS dans le secteur minier dépasse de deux voire trois fois les IUTS des agents de la fonction publique. Ce n’est pas rien !
Nous n’allons rien cacher. S’il y a un problème, nous devrons nous asseoir, et en toute transparence, trouver une solution. Mais quand c’est bon aussi, il faut le dire. C’est ainsi que l’opinion va mieux nous percevoir.
S : Que répondez-vous donc à ceux qui pensent que le secteur minier ne profite pas aux burkinabè ?
A. S : Tout dépend de là où on met le curseur. Je pose autrement la question ! Aujourd’hui, si on enlève le secteur minier de notre économie, quel en serait l’impact sur notre pays ? La contribution directe du secteur minier au budget de l’Etat est de plus de 300 milliards de FCFA, sans compter les autres externalités tels que les 50 mille emplois générés, la consommation des biens et services, le financement du développement communautaire, le Fonds minier de développement local, les impôts et taxes payés par les sous-traitants et autres fournisseurs du secteur, etc.
Je préfère cette maxime de chez nous : « c’est bon ce n’est pas arrivé » pour dire que des résultats positifs existent mais on peut mieux faire, ce qui est un encouragement plutôt que de dire on ne voit rien. Nous allons travailler pour que l’or et les autres métaux brillent pour tous.
Aujourd’hui, le secteur minier constitue une opportunité de développement pour le Burkina Faso. Travaillons à en faire un secteur qui profite à tous, dans une approche constructive et de vérité. Au-delà de sa contribution à l’économie, il y a aussi les bonnes pratiques développées dans les mines en matière de santé, sécurité au travail, de gouvernance et de responsabilité sociale des entreprises (RSE) qui peuvent être dupliquées ailleurs. Le message clé reste celui de la construction main dans la main. Le secteur minier pour les miniers, certes, mais pas contre les autres !
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