Paysans, riverains... Dans le Rhône, des collectifs se battent pour préserver des terres agricoles
Date: 10/06/20
Source: Reporterre.net
Dans l’ouest lyonnais, petit à petit, le bitume grignote du terrain. Objectif : exploiter économiquement au maximum les terres agricoles bordant l’autoroute. Dernier projet en date : la construction d’un bâtiment logistique de 20.000 m2. Paysans et riverains multiplient les actions de résistance.
Les premières pousses commencent à germer à Saint-Romain-de-Popey. Dans cette commune de l’ouest lyonnais, plusieurs membres du collectif paysan contre le projet de zone logistique de l’ouest rhodanien (Ozlor) ont labouré deux hectares de terre agricole, mi-mai, une semaine après le début du déconfinement. Sur ce terrain de la communauté d’agglomération de l’ouest rhodanien (COR) au « bon potentiel agricole », ils ont planté du maïs et des patates. « Il a plu dimanche et ça pousse déjà », sourit un sympathisant du collectif, une semaine après l’action. Pourtant, il est inquiet. Il sait qu’à terme ce terrain pourrait accueillir un rond-point d’une grande zone logistique.
De l’autre côté de la haie, Gilles Vignon, les cheveux grisonnant, est membre du collectif ami Quicury. Casquette sur la tête, il arpente d’un pas énergique le terrain qui pourrait devenir une zone bétonnée en détaillant l’historique du projet. La préfecture a donné son feu vert en janvier dernier à l’installation de la Fresinius medical care — Smad (société de matériels annexes pour la dialyse). « Enfin… Ils n’ont pas encore commencé les travaux, précise-t-il. On devrait les retarder un peu. » Le géant de la dialyse veut construire, avec le promoteur immobilier Argan, un bâtiment logistique de près de 20.000 m2. À la clef, la Smad promet de l’emploi. Mais la construction va entraîner la destruction d’un hectare de bois et d’une mare, et des dégâts environnementaux importants. « L’eau serait de mauvaise qualité, dit Gilles Vignon. Mais des espèces protégées vivent autour, comme l’œdicnème criard, le petit gravelot ou le triton crêté. »
Objectif : exploiter au maximum les terres agricoles bordant l’autoroute
Les deux collectifs multiplient les actions pour éviter la bétonisation du secteur. Le collectif paysan Ozlor, à l’origine du labourage des terres, est apparu en février. Son grand frère, Quicury, tient son nom d’un lieu-dit menacé par le développement de la zone logistique. Il s’est monté en mai 2019, à la suite d’une enquête publique menée sur l’implantation de la Smad. En octobre, il est devenu officiellement l’association Collectif Quicury pour préserver nos terres nourricières.
Via des manifestations, des recours en justice et des réunions d’informations, ses 400 membres occupent le terrain. Parmi leurs faits d’armes : l’organisation en février d’une manifestation qui a réuni 200 habitants — et une trentaine de tracteurs — pour s’opposer aux projets d’implantations de grandes structures logistiques.
Car l’installation de la Smad n’est pas l’unique crainte des militants. D’autres entreprises de logistique doivent éclore sur le secteur. À cheval sur plusieurs communes, la zone d’activité du Smadeor, syndicat mixte rassemblant plusieurs collectivités, doit s’installer sur 47 hectares. L’installation de l’entreprise ID Logistics sur une zone de 20 hectares a pris l’eau en début d’année mais une autre société, le spécialiste du revêtement Gerflor, est pressentie. À terme, l’idée du Smadeor et de nombre d’élus locaux est simple : exploiter économiquement au maximum ces terres agricoles bordant l’autoroute.
« Pour comprendre cette situation, il faut revenir à l’arrivée de l’A89, commente Alain Chizat, de Quicury, un ancien policier à la carrure imposante. Elle a changé la donne. » Inaugurée en 2013, cette parcelle d’autoroute traverse l’ouest lyonnais et permet aux habitants de la ville de se rendre à la campagne en vingt minutes, sans bouchon. Un moyen parfait, du point de vue de nombre d’élus, de stimuler l’activité économique du territoire.
800 passages par jour de poids-lourds au rond-point
Avant le projet de la Smad, l’installation des laboratoires Boiron avait surpris les habitants. Grand bâtiment gris de 18.000 m2, haut d’une quinzaine de mètres sur dix-sept hectares, il donne un aperçu du possible avenir de la zone. Peu, voire pas du tout informée, une partie de la population avait été prise de cours, d’après Quicury. « Les quatre premiers mois, notre travail a surtout été d’informer les habitants, reprend Alain Chizat, doté du sourire rassurant de celui qui est convaincu de l’utilité de son combat. Personne n’y connaissait rien. »
Le puzzle général est en effet difficile à visualiser. Différents projets de développements sont disséminés le long de l’autoroute. Quand les élus évoquent simplement la zone d’activité du Smadeor et ses quarante-sept hectares, les militants mettent en avant un projet de plus de cent hectares de zone logistique. « Ils oublient volontairement que certaines enseignes se sont déjà installées récemment dans le secteur, à l’instar de Boiron », peste Gille Vignon, membre de l’association Quicury. Extension de la zone La Noyeraie, vente de quatre hectares pour accueillir un Intermarché dans la commune voisine des Olmes… Petit à petit, le bitume grignote du terrain et le trafic routier se développe.
L’association estime à 800 le nombre « minimum » de passages par jour de poids-lourds au rond-point de la Croisette avec le développement de la zone. Situé dans la commune voisine de Pontcharra-sur-Turdine, à l’entrée de l’A89, le rond-point en voit passer 400 actuellement, d’après les estimations de Quicury. Un chiffre global que ne confirme pas le Smadeor. D’après le quotidien Le Progrès, l’installation de la Smad amènerait 128 passages de camion supplémentaires. Avec des projets d’implantation similaires, ce chiffre pourrait vite grimper.
« Nous sommes dans un bassin touché par le chômage »
Contacté par Reporterre, l’entourage de Bruno Pelaychon, maire de la ville voisine de Tarare et président du Smadeor, indique ne pas pouvoir communiquer dans une période où les exécutifs des collectivités locales se mettent en place. Son argument phare est cependant connu : il veut promouvoir l’emploi local. Interrogé sur les conséquences sanitaires d’une augmentation du trafic routier, Michel Mercier, ancien ministre et président de la COR jusqu’aux dernières élections, s’était agacé auprès du quotidien Le Progrès : « Quand on parle de santé publique, il faut aussi prendre en compte la santé mentale des gens. Ici, nous sommes dans un bassin touché par le chômage, et ses effets sont néfastes sur la santé psychique. »
Face à cette logique, le collectif Quicury cherche à présenter un projet de territoire alternatif. Il s’agit pour lui de promouvoir un emploi durable, issu de l’agriculture locale, sans passer par le développement de zones logistiques gigantesques.
En exemple, il présente Charles Debourg, un paysan de l’association installé dans la commune de Dareizé, à quelques dizaines de kilomètres. Avec ses associés, il vend en circuit-court des produits issus d’une agriculture raisonnée, sans produit phytosanitaire. « On peut créer avec le maraîchage cinq à six emplois par hectare », dit-il. En implantant des coopératives agricoles mais aussi, potentiellement, des ateliers de transformation, le secteur pourrait devenir un véritable « grenier » pour nourrir l’ouest lyonnais, voire la métropole de Lyon. « Quand on n’est pas capable de produire la farine dont nos boulangers ont besoin alors qu’on a les terres qu’il faut, on se pose des questions, dit-il. Dans la transformation alimentaire, il y a aussi de l’emploi ! »
À l’heure où le projet d’« anneau des sciences lyonnais », visant à boucler le périphérique de Lyon à l’ouest, semble définitivement enterré , les militants espèrent que leur voix soit entendue dans « le monde d’après ». Pour l’heure, un recours va être déposé par l’association contre l’arrêté préfectoral du 3 janvier, autorisant le début du projet de la Smad. La crise du Covid-19 pourrait avoir comme conséquence de repousser le début des travaux et certains projets industriels risquent d’avoir du plomb dans l’aile.
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