Du conflit foncier à un double assassinat
Date : 21 septembre 2017
Source : IWACU
Par : Christian Bigirimana et Fabrice Manirakiza
Samuel Ntirampeba, a été blessé, son fils et sa belle-fille tués dans une attaque dans la nuit de jeudi 7 septembre par des inconnus armés de machettes. La cause serait l’octroi à la victime, par la justice, d’un terrain de 9 km². La police annonce l’ouverture d’une enquête.
Vital Ndagijimana : « Ils passent la nuit dans la brousse et rentent le lendemain. »
Colline Muyange de la commune Butezi à une vingtaine de kilomètres du chef-lieu de la province Ruyigi. La population vaque à ses activités quotidiennes dans les champs comme à l’accoutumée. Boutiques et autres kiosques sont ouverts.
Mais au fur et à mesure qu’on approche la propriété de Samuel Ntirampeba, les visages se font rares. L’endroit est désertique. Un passant indique que depuis le drame, le reste de la famille a été amené par des militaires : « Ils ont été installés dans une maison au chef-lieu de la province et seraient gardés par des policiers. »
Même constat dans le voisinage. Toutes les portes sont fermées. Et notre source d’expliquer que la plupart des habitants ont fui dès le lendemain du drame par peur d’être arrêtés par la police : « Ils quittent presque tous leurs ménages, vont dormir dans la brousse et reviennent le lendemain ».
Ces propos sont corroborés par Vital Ndagijimana, directeur de l’Ecofo Muyange qui affirme que depuis ce drame, les élèves se pointent à l’école à 9 heures voire plus : « Lorsque je leur demande la raison de ce retard, ils me répondent tous qu’il ont passé la nuit dans la brousse et ne sont rentrés que le lendemain. »
A propos du double assassinat, des sources sur place indiquent que le drame s’est produit vers 22h à trois cent mètres du domicile de Samuel Ntirampeba : « Lui, son fils Célestin Ikizakubuntu et sa belle-fille Claudette Irankunda rentraient du chef-lieu de la commune où Ikizakubuntu tient une petite boutique. »
L’attaque
Son fils, en même temps conducteur de taxi-moto, les transportaient sur sa moto. Arrivés sur le lieu du crime, ils tombent dans un guet-apens des assassins : « Des inconnus munis de machettes et de couteaux les ont attaqués, tuant sur le champ Claudette Iradukunda. » Samuel Ntirampeba, grièvement blessé au niveau du visage et une main coupée, est laissé pour mort, confient nos sources.
D’après toujours nos sources, des voisins ayant entendu des cris ont accouru pour secourir les victimes, mais les assaillants en ont blessés trois. Ils sont actuellement soignés dans un centre de santé à Butezi.
Au cours de la même nuit, Samuel Ntirampeba est conduit d’abord au centre de santé de Butezi puis transféré à l’hôpital de Ruyigi où il subit des soins intensifs. D’après des sources administratives, il serait dans le coma. Sa chambre est surveillée jour et nuit par des policiers.
Après ce forfait, ces criminels prennent le large, emmenant avec eux Célestin Ikizakubuntu. Le corps sans vie de ce dernier sera retrouvé le lendemain à un kilomètre du lieu du crime. Il était dépecé en trois parties. Le lendemain, la police arrête deux personnes pour des raisons d’enquête dont le chef de colline Muyange. Ils sont incarcérés au cachot communal de Butezi. Contacté, Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police, indique que celle-ci a entamé des enquêtes pour identifier les auteurs de ce meurtre pour qu’ils soient traduits en justice.
Interrogés, quelques habitants de la commune Butezi affirment qu’un conflit foncier serait à l’origine de ce crime. Le Tribunal de Grande Instance de Ruyigi venait d’attribuer une parcelle d’une superficie de 900 hectares à Monsieur Samuel Ntirampeba, il y a une semaine. Une parcelle qui héberge plus de 800 familles sur cette colline.
La genèse du conflit
L’affaire remonte aux années 80. Samuel Ntirampeba porte plainte contre un certain Ntigahera pour un litige foncier. Il accuse Ntigahera de s’être approprié une partie de sa propriété. Selon les habitants de Muyange, à l’époque le terrain en litige jouxte le centre de développement social, tenu par des blancs et une partie où seront érigées deux salles de classe de l’école primaire Muyange, devenue Ecofo Muyange. Le procès prend une autre tournure et Samuel Ntirampeba affirme que tout le terrain de 9 km² lui appartient. Il gagne le procès le 14 février 1988.
La Cour Suprême charge le Tribunal de Grande Instance de Ruyigi de mettre en exécution ce jugement via une correspondance du 19 mai 2016. Le TGI Ruyigi se rend à Muyange le 31 août dernier et ordonne aux 800 ménages occupant ledit terrain d’avoir évacué les lieux au plus tard à la fin du mois de février 2018. Donatien Bandirubusa, conseiller de l’administrateur communal pose la question de la délimitation de cette propriété octroyée à Samuel Ntirampeba : « Le chef de la délégation du TGI Ruyigi a répondu que cette délimitation aura lieu dans six mois c’est-à-dire au mois de février 2018. »
Le 4 septembre 2017, ces habitants manifestent contre cette décision au chef-lieu de la commune Butezi : « Ils portaient des pancartes sur lesquelles l’on pouvait lire qu’elle s’insurge contre la décision qui selon elle est injuste et que cette propriété n’a jamais appartenu à cette famille ni au père, ni au grand père de cet individu », confie une source à Butezi.
Zones d’ombre
Agnès Bangiricenge : « Les membres de cette commission se sont rendus à Butezi ce jeudi pour étudier cette question. »
Après cette manifestation, Madame Georgine Mbonimpa, administrateur de la commune de Butezi les somme de retourner dans leurs ménages en attendant qu’une décision durable soit trouvée à leur problème. Elle les met en garde contre une éventuelle insurrection ou bien de l’intimidation à l’endroit de celui qui a gagné le procès.
Pour les habitants de Muyange, il y a des non-dits derrière ce jugement. Ils indiquent qu’au départ ce conflit opposait seulement les deux familles entre Ntirampeba et Ntigahera : « Il n’a jamais opposé Samuel Ntirampeba et toutes les personnes vivant sur les 9 kilomètres carrés. » Et de se demander par quelle magie, un conflit entre deux personnes est devenu une affaire de plus de 1000 familles. Bien plus, à l’époque, aucune copie du jugement n’a été remise à Ntigahera ou bien à ses proches pour leur signifier que leur père avait perdu ce procès.
Pire, les habitants de Muyange ont appris récemment que Samuel avait à l’époque également porté plainte arguant que ce terrain de 9 km² lui appartient : « Nous avons appris qu’il a eu des procurations des quelques habitants comme témoins prouvant que ce nouveau procès l’opposait à toutes familles habitant dans ce périmètre» Mais bizarrement, s’étonnent ces habitants, il n’y a aucune trace de ce second procès dans les archives du Tribunal de Résidence de Butezi. Or, soutiennent ces sources, aucun document n’a été brûlé ou bien ne s’est volatilisé pendant la crise de 1993-2003.
Interrogée, Agnès Bangiricenge, a répondu qu’une commission d’enquête a été mise sur pied. « Les membres de cette commission se sont rendus à Butezi ce jeudi pour étudier cette question », a-t-elle conclu.
A qui profite le crime ?
Pour les habitants de Muyange, ceux qui ont blessé Samuel Ntirampeba, tué son fils et son épouse ne sont pas de cette localité. Et pour cause, expliquent-ils, ses voisins sont allés les secourir mais ils ont également été blessés par les malfaiteurs : « Ça doit être des personnes venues d’ailleurs car depuis la visite des juges du Tribunal de Grande Instance, les voisins vivaient avec la famille de Samuel Ntirampeba en harmonie. »
Bien plus, ils affirment tous que la déclaration de la porte-parole de la Cour Suprême au lendemain de leur manifestation les avait tranquillisées : « Nous attendions avec patience ce que la justice allait décider dans le calme car elle avait dit que la justice allait se pencher sur cette affaire et trouver une solution durable. »
A la question de savoir si ces habitants n’auraient pas voulu tuer toute la famille de Samuel Ntirampeba par colère ou autre sentiment, nos sources réfutent et se demandent pourquoi ils auraient attendu toute une semaine avant de le faire. Et de conclure : « Par contre ceux qui ont tué ces gens ne nous rendent pas la vie facile car certains risquent de croire que finalement Samuel Ntirampeba avait raison et que les 9 kilomètres carrés lui appartiennent réellement. »
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