Cameroun: Pour ou contre la vente des terrains non titrés ?
Date: 04 avril 2017
Source: 237 Online
La course vers la propriété foncière semble ne plus avoir de limites dans notre société. Même si toutes les conditions pour l’acquisition d’une parcelle ne sont pas réunies.
Le titre foncier se veut un droit de propriété définitif et inattaquable sur un immeuble (bâti ou non). Il garantit au propriétaire une occupation permanente et durable. Le titre foncier a la particularité de protéger, sécuriser et protéger le droit du propriétaire. Parce que le détenteur du titre foncier est reconnu comme l’unique et véritable propriétaire du terrain concerné. Mais de l’avis de nombreux observateurs, l’accès au titre foncier a depuis toujours été considéré comme une véritable épreuve de nerfs. Et ce malgré les efforts déployés par les pouvoirs publics pour alléger les procédures d’obtention de ce précieux document. Est-ce ce qui amène de nombreux propriétaires fonciers à vendre « leurs » terrains sans avoir engagé la moindre procédure devant aboutir à l’obtention de ce document ? Dans un environnement où les terrains tendent à se faire de plus en plus rares, il est, hélas, courant de voir encore des personnes qui vendent des terrains sans avoir engagé la moindre procédure de sécurisation de ceux-ci. La conséquence de cette attitude est que le même terrain est parfois vendu à plusieurs acquéreurs, ce au gré des besoins financiers des « propriétaires ». Le phénomène qui semblait courant en zone rurale a depuis lors gagné nos métropoles, même si l’on observe néanmoins qu’il tend de plus en plus à reculer.
Les défenseurs de l’obtention préalable d’un titre foncier sont unanimes sur les avantages que procure ce document. Outre les effets de sécurisation et de protection évoqués plus haut, le titre foncier offre un certain nombre d’avantages. Il permet l’accès au crédit bancaire, en servant de garantie par la prise d’une hypothèque, par le créancier, en l’occurrence la banque.
Il facilite l’héritage lorsque le propriétaire vient à décéder, car il est alors plus facile de justifier que le bien est la propriété du défunt. Alors qu’un terrain non titré, n’est vendu qu’avec une simple lettre d’attribution, ou un simple document d’achat réalisé avec les propriétaires coutumiers (simple certificat d’abandon des droits coutumiers).Et sans aucune assurance, qu’il n’y a pas d’autres propriétaires.
Le titre foncier est-il pour autant une garantie sur un terrain ? Pas toujours. Il est déjà arrivé que plusieurs « propriétaires » brandissent ce document sur une même parcelle. Dans ce cas, il faut se référer au décret présidentiel N°2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines dispositions du décret N°76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Celui-ci en son article 2, alinéa 6 précise que « un titre foncier est nul d’ordre public dans les cas suivants : lorsque plusieurs titres fonciers sont délivrés sur un même terrain. Dans ce cas, ils sont tous déclarés nuls de plein droit, et les procédures sont réexaminées pour déterminer le légitime propriétaire. Un nouveau titre foncier est alors établi au profit de celui-ci… » Toutefois, il est clair aujourd’hui que la meilleure façon de vendre une parcelle de terrain est de procéder d’abord à sa sécurisation.
Pour
Frédéric Joël Onguene Mekodo, Agent immobilier: « Un terrain sans titre est abordable »
« L'acquisition des terrains non-titrés a un avantage principal au niveau du prix de vente, car ils sont vraiment très abordables, à la portée de tous. Les propositions qui nous sont faites dans ce sens sont très porteuses, pour ceux qui peuvent les acquérir. Un terrain sans titre foncier est justement vendu à vil prix. Ceux qui viennent vers nous, n’ont justement pas toujours d’importants moyens lors de l’achat de terrains. On dit même que c’est une question de chance. Et lorsque celle-ci se présente à un prix abordable, il faut la saisir.
Par ailleurs, le propriétaire peut, après acquisition, commencer les procédures d’obtention du titre qui sont déjà facilitées par l'Etat. D’ailleurs, certaines personnes disent éviter les tracasseries liées à ces procédures pas toujours maîtrisées, pour acquérir des terrains non-titrés. D’autres ne sont pas toujours bien informées, lorsque le terrain est titré, des procédures de morcèlement qui doivent suivre, si le terrain est un lot. Ce que nous conseillons donc, c’est de s’entourer des précautions, avant de se lancer. Il faut s’assurer que le terrain en question n’est pas d’utilité publique. Puis, vérifier que ledit terrain appartient bel et bien à un propriétaire identifié. Ceci peut être fait auprès du chef du village, des notables ou riverains. Il semble donc plus simple pour certaines personnes d’acquérir un terrain libre, et d’engager elles-mêmes les procédures. Ceci a l’avantage de maîtriser le dossier et, d’après certains, de dépenser moins ».
Contre
Me Sandrine Dacga Djatche, Avocat: « C'est une infraction passible d'une condamnation »
« En qualité de juriste, et vu la législation camerounaise sur la propriété immobilière, je suis contre la vente de terrains non titrés.
Tout d'abord parce que c'est une infraction passible d'une condamnation au sens de l'article 8 de l'ordonnance No 74-1 du 06 juillet 1974 portant Régime foncier au Cameroun. Le propriétaire du terrain doit correctement disposer des pièces authentiques signalétiques de son droit de propriété.
Ensuite parce que pareille vente est frappée de nullité. L'article suscité énonce clairement que: "... sont également nulles de plein droit les cessions et locations de terrains urbains ou ruraux non immatriculés au nom du vendeur ou du bailleur". Ceci revient à dire que même si la vente s’opère par devant un notaire, ou un greffier-notaire, les acteurs, au même titre que les témoins, n’échappent guerre à une amende allant de 25.000 à 100.000 francs et un emprisonnement de 15 jours à 3 ans ou encore d’une de ces deux peines seulement. Dans tous les cas, la vente de terrain non titré est une opération qui s’effectue en marge de la loi.
Enfin, je déconseille aux populations l’achat de tels terrains, parce que ce genre de vente regorge de nombreux problèmes et difficultés pour l'acquéreur. On se retrouve généralement face à des situations de ventes multiples d'un même terrain à plusieurs acquéreurs, ce qui conduit toujours à des tensions entre les justiciables et des difficultés de recouvrements d'argent engagé dans pareille transaction. Car après avoir acquis le terrain, un autre chapitre s’ouvre sur la procédure d’acquisition du titre foncier. Là encore, c’est un cuisant calvaire. Une grande prudence s’impose donc, à quiconque veut entreprendre une telle opération ».
Fatima Zara Ngougoure, Exploitante agricole: « Tout dépend de la relation de confiance »
« La vente de terrain, avec ou sans titre foncier, a toujours été un risque. En effet, lorsqu'on propose un terrain à vendre, les choses commencent déjà dès le départ. C'est à dire celui de qui part cette proposition. Si la personne n'est pas de ton entourage, même avec un titre foncier, la transaction ne garantit pas toujours la sérénité. Mais avec une personne de confiance, on peut prendre le risque. Deuxièmement, la famille qui vend le terrain. La plupart du temps, les terrains vendus font l'objet de litiges au sein des familles. Ce qui fait qu'il y a souvent plusieurs ayants- droit. Dans nos familles, les terrains sont un patrimoine commun. Donc, lorsqu'on décide de la vente, c'est souvent pour résoudre un problème et les conditions de vente sont parfois liées à la gravité de problème que l’on a. Il est donc indispensable d'avoir la bonne information à temps avant de se lancer dans la transaction.
D'autre part, il faut reconnaître qu'un terrain titré donne plus de garanties et d'avantages, par exemple pour des prêts en banque. Mais aussi, ce sont des terrains qui coûtent cher à la vente. Or, on n'a pas toujours d'importants moyens lors de l'achat de terrains. Mais, au regard des tracasseries dans les procédures de délivrance du titre foncier, il paraît plus indiqué de se sacrifier pour avoir son lopin de terre déjà titré. Cela décourage certaines personnes et du coup, lorsqu'on parvient à l'avoir, l'acheteur du terrain paie le gros prix de la transaction au moment de l'achat. Toutefois, il est indispensable à avoir une garantie dès le début de la transaction ».
Ce qu’ils en pensent
Sa Majesté Ze Biwole Caulin, Maire de la commune de Kobdombo: « Tout terrain non-titré revient à l’Etat »
« Normalement, un terrain qui n’est pas titré ne doit pas faire l’objet des transactions parce qu’il revient à l’Etat. Ce qu’il y a lieu de faire c’est de sensibiliser les populations à ne pas s’aventurer dans ce chantier. S’il est titré, la vente entière ou partielle peut garantir l’acheteur. Le risque d’acheter de terrain sans titre est donc grand ».
Mme Aoudou, Professeur des lycées: « Il n’y a pas de garanties »
« Je m’inscris en faux contre la vente de terrain non titré. Car non seulement le client qui l’acquiert sera obligé d’engager un long processus pour avoir le titre, ce qui prend d’ailleurs du temps, mais encore, le prix est exhorbitant. Et généralement, le terrain non titré n’est pas une garantie, puisqu’il n’est pas rare d’avoir affaire à des vendeurs véreux, qui proposent la même propriété à d’autres clients, en sorte qu’acquérir de tels terrains revient à acheter chat en poche. Des victimes, j’en ai vu de plus belle. »
Thierry Nguemtué N., Universitaire: « Les vendeurs arnaquent les clients »
« A partir du moment où la loi interdit la vente de terrain non titré, le citoyen camerounais devrait de se garder de s’y hasarder. Cette vente illicite est fréquente dans les lieux reculés, surtout quand il s’agit de l’héritage. Les écueils de l’achat de ces terrains sont réels : les vendeurs arnaquent leurs clients. Et dans cette affaire, c’est l’Etat qui se trouve perdant, puisqu’en réalité, un domaine sans titre foncier relève de son autorité. Donc, vendre une telle propriété revient à voler la chose publique. Personnellement, je m’insurge contre cette vente qui, au fond, est un leurre ».
Ernest Bouba Tenone, Pharmacien-vétérinaire: « Il faut la présence de témoins »
« On ne saurait interdire la vente de terrain non titré. Il faudra tolérer cette option, à condition que cette vente se fasse en présence de témoins crédibles, notamment les autorités locales traditionnelles, municipales, juridiques ou administratives. Car un terrain non titré n’est pas forcément un acquis frauduleux ».
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